Transport routier de marchandises: Ces multiples loupés de la réforme

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Le transport routier de marchandises pour compte d’autrui pâtit de la vétusté. Les véhicules dont l’âge dépasse les 20 ans sont estimés à 10.664 unités, soit 19% du parc total de ce type de camions.  Conséquences: une forte incidence sur le taux de sinistralité, une consommation excessive du gasoil, plus de frais d’entretien…

 

La libéralisation du transport  routier de marchandises a failli à de nombreux engagements. Dix ans après son entrée en application (2003-2013), la réforme n’a pas donné les résultats escomptés dans une activité hautement stratégique qui concentre pourtant (hors phosphates) 75% des flux de transport routier de marchandises.  C’est du moins l’avis de professionnels, qui se disent inquiets de l’avenir du secteur. Une étude récente du centre pour le développement de la sécurité du transport (CPDST) vient de révéler les multiples loupés de cette réforme «inachevée». Un constat qui intervient sur fond «de manque de visibilité et de fortes inquiétudes suite aux rumeurs sur une éventuelle hausse des prix des hydrocarbures et dérivés», tient à préciser Abderrahim Chennaoui, président du CPDST. Si jamais le scénario de hausse du carburant se confirme, il risque de paralyser l’activité car le gasoil absorbe à lui seul plus de 33,5% du chiffre d’affaires des entreprises de transport, avertit Chennaoui. Au-delà des mesures qui ont accompagné le secteur en 10 ans, les défaillances sont encore légion. A commencer par l’informel qui prend des proportions importantes (il pèse pour 40%) et l’absence de règles élémentaires de concurrence loyale. L’entrée en application du code de la route s’était, rappelons-le, soldée par une série de grèves et une surenchère des prix des fruits et légumes à cause du contrôle de la surcharge. Depuis, il y a eu un bras de fer et les autorités avaient fini par abdiquer. Il a donc été décidé de fermer les yeux en autorisant via homologation (du temps de Ghellab) les camions de 8 tonnes à faire de la surcharge jusqu’à… 14 tonnes PTAC. Une mesure jugée contreproductive puisque le laxisme du contrôle a eu des incidences fâcheuses sur l’activité en termes de concurrence déloyale, de coûts et de standards dans les prestations. Pour preuve, le vrac continue à représenter l’essentiel des manutentions. «Les camionneurs des 8 tonnes qui chargent pratiquement le double ont tiré les standards et les prix vers le bas», dénonce Chennaoui. Logiquement, la corporation doit disposer d’un référentiel des prix fixé par l’Etat avec des sanctions envers tous ceux qui bradent le coût du transport, tient à préciser un opérateur. La surcharge a  aussi eu des incidences sur le taux de sinistralité dans la sécurité routière. Les derniers chiffres parlent d’un taux d’accidents de 6% entre le transport de marchandises et celui de voyageurs.  En plus de la hausse du taux de sinistralité, le secteur pâtit aussi de la vétusté de la flotte et de la forte atomicité des entreprises.  «A ce jour, 88% des structures sont des TPE  ou des entreprises individuelles de 1 à 5 véhicules vétustes dont la moyenne d’âge est de 15-16 ans», selon une étude récente de la DEPF, qui relève du département de l’Economie et des Finances. Pour l’heure, plus de la moitié du parc a plus de 10 ans d’âge. Les véhicules dont l’âge dépasse les 20 ans sont estimés à 10.664 unités, soit 19% du parc total de ce type de camions.  Plus encore, sur 20.008 entreprises, 18.324 (soit 92%) ont tout au plus deux véhicules. Et c’est la conséquence et le legs du système des agréments.

Le programme de renouvellement de la flotte n’a pas pris. Car la prime à la casse nécessitait une forte capacité d’endettement et la solvabilité des entreprises bénéficiaires de la prime. Or, comme dans 88% des cas, les entreprises sont des TPE ou des entreprises individuelles, cela bloque l’accès au crédit. «Les banques n’ont pas pu suivre compte tenu du risque élevé d’impayés», signale un opérateur. D’ailleurs, les banques financent de moins en moins ce secteur compte tenu des impayés, poursuit le même opérateur. De plus, le mont de la subvention de la prime à la casse varie entre 90.000 et 130.000 DH. Or, un camion de marque européenne coûte au moins 800.000 DH. Les moins chers sont les véhicules chinois qui tournent autour de 600.000 DH. Le différentiel reste quand même important pour une TPE. Par ailleurs, le traitement des dossiers et le déblocage des primes à la casse accusait beaucoup de retard, 1 an voire plus. Les opérateurs dénoncent également le peu d’incitations à l’investissement dans le secteur du transport routier de marchandises et l’absence de concertations régulières avec la tutelle. La représentativité du secteur  surtout dans la concertation avec les pouvoirs publics a toujours été sujet à polémiques. «Aujourd’hui, personne n’est représentatif de la corporation», insiste Chennaoui. Autre maillon faible, la taille critique. La réforme devait encourager le regroupement des sociétés de transport en coopératives et des GIE pour s’inscrire dans une logique de maillage et de synergies. Là encore, aucune coopérative n’a encore vu le jour, dénoncent des opérateurs. Pis encor, l’Observatoire qui devait produire des statistiques et des chiffres actualisés et fiables sur le poids du secteur n’est pas encore opérationnel. En plus de tous ces loupés, la formation continue est le parent pauvre de l’activité. Or, c’est le seul gage pour améliorer les capacités. «Il y a une absence de culture de formation. Aucun transporteur n’admet de libérer un chauffeur. Pour les patrons, c’est un manque à gagner», témoigne Chennaoui. Selon ce dernier, à part l’OFPPT, il n’y a pas encore de structures privées dédiées à la formation des transporteurs.

At last but not least, le secteur reste très mal loti en termes de respect du volet social et le conducteur est généralement payé au forfait. «Il y a même des structures organisées qui ne paient pas les cotisations sociales et ne respectent pas le temps réglementaire de conduite», dénonce Chennaoui.

Manifeste du fret

Tant annoncé par le projet de réforme et prévu dans la loi 16-99, le manifeste du fret n’existe pas encore. Or, ce document obligatoire, dont doivent disposer l’ensemble des entreprises du transport, permettra une fois rempli d’avoir de la traçabilité avec toutes les informations requises. Il s’agit notamment d’indicateurs sur l’itinéraire emprunté, la nature de la marchandise, le tonnage transporté, le cachet du client… Toute une traçabilité du trajet d’un point à l’autre qui devra hisser les standards, améliorer la transparence des prestations et définir les niveaux de responsabilités en cas de problèmes.

A. R.

Source: L'Economiste Édition N° 4011 du 2013/04/16